Agriculture et environnement au Brésil : une relecture depuis les marges

Ludivine Eloy

Résumé

Résumé du volume 2 (inédit) Ce volume propose une réflexion sur les processus concomitants de développement agricole et de mise en œuvre de politiques socio-environnementales au Brésil, à partir des espaces de marge. J’interroge l’invisibilité persistante des systèmes agropastoraux dits « traditionnels », malgré la reconnaissance de diverses catégories identitaires et de droits territoriaux associés. Dans la première partie de ce volume, je montre que cette invisibilité résulte i) de l’essentialisation des relations entre populations dites « traditionnelles » et la nature, dans le champ des ethnosciences ; ii) du paradigme de la modernisation en agronomie iii) de la prégnance du modèle centre-périphérie en géographie ; iv) du domino-centrisme, qui prédomine dans le champ des sciences agraires sud-américaines. Bien que très riches, ces courants de recherche induisent des visions dichotomiques des transformations agroenvironnementales, marquées par l’opposition entre tradition et modernité. Je soutiens l’idée que les marges sont, avant tout, des territoires mis à l’écart, et observables à toutes les échelles spatiales, dont l’analyse gagne à s’affranchir de toute hiérarchisation normative par rapport à un centre (Depraz, 2017). À partir de cette proposition, je mobilise des concepts (articulation, coexistence, circulations) et des méthodes issues des SHS et des sciences écologiques pour mettre en évidence les spécificités et transformations historiques des systèmes agropastoraux « traditionnels » et de leurs rapports à l’espace. Dans la deuxième et troisième partie, je présente des résultats de mes recherches réalisées dans deux grands types de marges, que j’ai choisies pour relire mes travaux : les zones périurbaines d’Amazonie, et les interstices du soja dans le Cerrado. Observer les dynamiques des pratiques agropastorales dans ces espaces révèle i) des innovations techniques et sociospatiales, reposant notamment sur la multi-localité et les circulations, ii) le caractère sélectif des politiques socio-environnementales et leur rôle dans la production des marges. Cette « sélectivité » interroge ainsi les approches disciplinaires des systèmes agricoles et le caractère sectoriel des politiques environnementales. Ces résultats suscitent une approche réflexive sur les pratiques de recherche, puisqu’ils interpellent notre capacité (et notre prétention) à comprendre et, à fortiori, à « gérer » les problèmes environnementaux et les dynamiques sociales dans ces territoires singuliers. Dans la quatrième partie, dédiée à mes perspectives de recherche, j’explore l’idée que les marges constituent des lieux de production de controverses environnementales. Expliciter et situer historiquement les différentes formes de compréhension de la dégradation environnementale et de la conservation ouvrent une voie, selon moi, qui dépasse la séparation entre savoirs académiques et savoirs locaux.