De la question de l'habilitation à celle de la qualification des personnes handicapées. - Centre de recherche Médecine, Science, Santé, Santé Mentale, Société Accéder directement au contenu
Hdr Année : 2021

From the question of "habilitation" to the question of "qualification" of people with disabilities.

De la question de l'habilitation à celle de la qualification des personnes handicapées.

Résumé

Ce dossier, composé de trois volumes, retrace l’évolution de ma problématique de recherche, depuis ma thèse jusqu’à aujourd’hui. La question au centre de mes travaux est la question : « Qu’est-ce une personne handicapée ? ». Lors de ma recherche doctorale, pour y répondre, j’avais suspendu la notion de handicap et posé la question « Comment émerge une personne dotée d’in/capacités ? ». En réponse, la notion d’habilitation désignait le processus de fabrication de cette personne à travers ses relations à trois types de dispositifs : discursif, technique et institutionnel. La conceptualisation de la notion d’habilitation me permettait d’insister sur le processus d’émergence des in/capacités, c’est-à-dire à sur leur dimension relative et évolutive. Cette analyse débouchait sur une conception relationnelle de la personne. Depuis ma thèse, mes recherches m’ont progressivement conduite à déplacer ma question, et à m’intéresser non seulement à la question de l’émergence des in/capacités, mais aussi à la manière dont des différences entre les personnes sont définies, ou plus généralement, à la manière dont une personne est dotée de qualités. L’enjeu a été pour moi de prendre au sérieux la notion de « handicap », de m’y confronter. D’où le déplacement de focale sur la notion de qualification. Les trois tomes de mon dossier d’HDR développent ce déplacement de focale. Le tome I, le mémoire de synthèse, intitulé « De la question de l’habilitation à celle de la qualification des personnes handicapées. Retour sur un parcours de recherche à la croisée de la sociologie des sciences et des techniques, et des Disability Studies », retrace ce déplacement à partir de trois fils : biographique, théorique et politique. Ces trois fils me permettent de me situer, ainsi que mes travaux, dans trois espaces-temps : celui, professionnel de la recherche, celui, scientifique des débats sur le handicap, et celui, politique du handicap. Ils me permettent aussi de montrer comment mes travaux développent une approche originale du handicap à la croisée de plusieurs disciplines, principalement la sociologie des sciences et des techniques et les Disability Studies, mais aussi, plus récemment, l’éthique du care. Je reviens ainsi sur les apports et les limites de ces approches récentes du handicap, pour comprendre sa « dimension sociale ». M’inspirant du modèle social, mais m’inscrivant dans le cadre des développements actuels de la sociologie de la traduction vers un pluralisme ontologique, je propose d’analyser cette « dimension sociale du handicap » en articulant deux axes de recherche : concernant le travail des acteurs pour définir la notion de handicap, et les catégories connexes, d’une part, et concernant la manière dont ces catégories configurent l’expérience des personnes d’autre part. En tenant ces deux axes de recherche, je montre la possibilité de dépasser une approche du handicap qui, suspendant celui-ci, s’attacherait uniquement à décrire des spécificités, et celle de développer une approche qui explique les différences existant entre les personnes, c’est-à-dire la manière dont ces spécificités prennent sens et valeur pour les personnes, via les pratiques et les politiques. Enfin, je reviens sur les enjeux politiques liés à la recherche sur le handicap, tels qu’ils existent en France, et je précise dans quel sens ma propre recherche se définit comme politique. Le tome II, le mémoire original, intitulé « La qualification/disqualification des personnes, un travail politique au quotidien. Histoires relatives aux personnes atteintes de déficiences multiples », présente la dernière recherche que j’ai menée et qui est une première étape pour conceptualiser la notion de qualification. Cette recherche porte sur l’histoire de la prise en charge des enfants et adultes atteints de déficiences multiples, qui aujourd’hui, pose toujours problème pour une diversité d’acteurs, politiques, associatifs, parents. M’inscrivant dans une perspective qui conçoit la sociologie comme une « pensée du changement », j’ai cherché à identifier le moment où cette question émerge comme un problème et pourquoi. J’ai ensuite cherché à suivre ce problème, à analyser la manière dont il se transforme, dont il se métamorphose, pour aboutir aux questions sociales qui sont celles d’aujourd’hui. Or, cette enquête socio-historique a fait émerger comme centrale, dans la construction de ce problème, la question de l’éducation spécialisée. Ainsi, dans le chapitre 1, je montre que l’histoire de l’éducation spécialisée, destinée aux enfants atteints de déficiences, sensorielles d’abord, puis mentales, n’est pas seulement une histoire de l’éducabilité de ces enfants, mais corrélativement une histoire de l’inéducabilité de certains d’entre eux, appelés « arriérés profonds ». Jusqu’au milieu du 20ème siècle, soigner et éduquer ces enfants est de l’ordre de l’inconcevable, voire de l’ordre de l’inacceptable. Seul un hébergement, sans soin curatif ni éducation, peut leur être proposé en hôpital psychiatrique. La famille elle-même est pour ces enfants, un « non-lieu » du soin. Dans les années 1960, cependant, le contexte change, et progressivement, l’idée de ne pas les soigner et de ne pas les éduquer devient inacceptable. Dans les chapitres 2 et 3, je m’intéresse plus particulièrement à l’action de deux associations, le CESAP (aujourd’hui « Comité d'Études, d'Éducation et de Soins Auprès des Personnes Polyhandicapées ») et le Clapeaha (Comité de liaison et d'action des parents d'enfants et d'adultes atteints de handicaps associés). À partir des années 1960, ces deux associations militent pour que ces enfants soient soignés et éduqués. Elles réfléchissent à l’organisation d’une prise en charge adaptée pour ces enfants et corrélativement, à la définition de catégories pour les désigner. La première défendra la notion de polyhandicap, la seconde celle de handicap rare. Suivre l’histoire de ces deux associations permet de montrer comment, entre 1960 et 2014, le problème de la prise en charge des enfants atteints de déficiences multiples à la fois reste un problème et est transformé. Dans les années 1960, c’est leur inéducabilité et incurabilité qui sont posées comme un problème. Ensuite, et jusqu’à aujourd’hui, c’est la manière de les éduquer et de les soigner qui pose problème pour notre secteur médico-social ; c’est l’organisation de l’accompagnement spécialisé dont ils ont besoin et la mise en œuvre de cet accompagnement qui posent problème pour ce secteur. Cette histoire permet également de montrer l’évolution de la notion d’éducation, en articulant celle-ci à la notion théorique de care. Enfin, cette histoire montre comment progressivement, via le développement de différentes techniques, de savoirs et savoir-faire, via l’organisation de dispositifs de prise en charge, via la transformation des catégories politiques, la qualification de ces enfants est transformée. Ces techniques, ces savoirs et savoir-faire, etc., ont rendu ces enfants éducables. L’éducabilité n’est plus une caractéristique essentielle des enfants, mais est devenue une qualité relationnelle, dont ils sont dotés dans et par la relation avec des professionnels, dans et par les pratiques concrètes de soin et d’éducation. Dans le dernier chapitre, j’explore, à partir d’un corpus de récits écrits et publiés (entre 1970 et 2019) par certains parents d’enfants atteints de déficiences multiples, ce travail de qualification, tel qu’il est réalisé par les parents, et l’idée corrélative de qualités relationnelles distinctives. L’analyse des récits écrits par les parents montre également la non-évidence de l’éducabilité de l’enfant, et le fait que la qualification de l’enfant comme éducable est lié au travail réalisé au quotidien, à la production de savoirs et de savoir-faire dans la relation avec l’enfant. Il me permet d’explorer ce travail au quotidien et de montrer que ce travail est un travail politique car il fait exister l’enfant et le parent en tant que tels. Il définit leur statut l’un pour l’autre, et pour la société. Ainsi, cette recherche, dans son ensemble, déploie la notion de qualification, et revient sur les processus pratiques et politiques, à travers lesquels des enfants sont qualifiés tout à la fois comme « enfants handicapés » (polyhandicapés ou en situation de handicaps rares) et comme « enfants à faire grandir ». Elle ouvre des pistes de recherche que je continuerai à suivre dans mes prochaines recherches, notamment sur la « production de l’ordinaire » par les familles dont l’un des membres est polyhandicapé. Le tome III de mon dossier est un recueil de travaux publiés. J’y ai rassemblé quinze articles ou chapitres de livre, que je considère comme importants dans ma trajectoire et qui retracent l’ensemble des déplacements décrits dans le mémoire de synthèse.
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Dates et versions

tel-03950839 , version 1 (22-01-2023)

Identifiants

Citer

Myriam Winance. De la question de l'habilitation à celle de la qualification des personnes handicapées.. Sociologie. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 2021. ⟨tel-03950839⟩
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